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Swot-il un marketing dans l'avion

Swot-il un marketing dans l'avion
Pierre
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Je ne suis pas certain que les équipes marketing des différents éditeurs consomment plus de drogues que les autres départements. En revanche je sais que la créativité requise par les campagnes demande parfois de partir loin, très loin du produit que l'on est censé promouvoir, dans l'espoir paradoxal de mieux le servir par la suite.

Quand on reçoit un jeu au marketing, son développement est en général déjà bien avancé. ça ne signifie pas que rien ne peut être modifié et encore moins que le planning est solide à l'abri des reports, reboots et autres annulations. Mais dans l'ensemble la base du jeu, ses composants clés, sa boucle de gameplay principale sont déjà là. Du coup, la première chose à faire pour orienter le travail de construction de l'image est de faire une sorte de grosse liste des pours et des contres.

Sauf que nous autres marketeux sommes de grands complexés de la science sociale et pour espérer récupérer un peu de crédibilité, voire légitimer quelques heures sup', on a pour habitude de transformer une très prosaïque liste de pours et de contres en "Analyse matricielle SWOT".
Techniquement, il s'agit d'un tableau avec quatre cases dans lesquelles on évalue le plus objectivement son produit. La beauté de la chose est qu'on peut l'appliquer à tout et surtout n'importe quoi : jeu AAA, paire de chaussettes, guerre dans un pays du tiers monde, une fois apprise en école de commerce, la technique est sans limite.

On commence par opposer sur une ligne les forces et faiblesses internes au produit : jolis graphismes mais manque de multi joueur; soie très douce mais gratte un peu les chevilles; bon pour le moral des troupes mais risque d'abîmer le matériel.

Ensuite on oppose les opportunités et menaces externes au produit : partenariat avec Microsoft mais risque que la Xbox One se rétame; possibilité d'un hiver très froid qui donne aux gens envie d'acheter des chaussettes, mais risque que la mode soit aux nus pieds; opportunité de trouver du pétrole dans le pays envahi, mais risque que la communauté internationale n'approuve pas des masses.

Une fois que c'est joliment fait, le truc consiste à prendre un peu de recul (c'est qu'au Marketing, on écrit sur de très gros tableaux), et à regarder le tableau (Matrice SWOT) dans son ensemble (on dit la Big Picture).
Tant que les forces l'emportent sur les faiblesses, tout va bien, le produit se vendra tout seul : Ce jeu est le meilleur dans le genre; cette paire de chaussettes est la plus chaude; les autres sont des méchants : cette guerre est légitime.

Si ce n'est pas tout à fait le cas, on peut se rattraper avec la mitigation des facteurs externes, c'est un coup de poker, mais sur un malentendu, ça peut marcher : Notre jeu n'est pas le meilleur mais beaucoup d'abrutis achètent ce genre alors pourquoi pas; Nos chaussettes ne sont pas les plus chaudes, mais si on est en tête de gondole à Carrefour ça peut le faire; cette guerre n'a aucune raison d'être, mais si peut être qu'il y aura des armes de destruction massive à trouver.

Swot
Puisque je vous dis qu'on peut faire une SWOT de n'importe quoi.


Par contre, le cas que tout le monde redoute, là où on déclenche le plan de crise c'est quand c'est franchement trop léger au niveau des forces, quand on ne voit pas la moindre opportunités, quand on ne voit pas comment faire face aux menaces.

C'est le moment où des gouttes de sueur commencent à perler sur son front au moment d'annoncer à un board quelconque que promouvoir le produit pour ce qu'il est risque de ne pas s'annoncer très payant.
Alors on appuie fébrilement sur sa petite télécommande à Powerpoint, en faisant défiler tout le blabla. On sait que ce qui intéresse les regards de plus en plus noirs derrière les bureaux de plus en plus lointains, c'est la SWOT. La swot ne ment pas, la swot est un peu mathématique, loin d'une fantasque liste de pours et contres, elle révèle la dure réalité qu'il ne convient pas de contourner.

On doit alors se rabattre sur le pire ennemi des financiers, le cauchemar des chefs de projet, l'angoisse des équipes éditoriales : la créativité.
Car la seule alternative qui reste à disposition d'une entreprise si le produit est inférieur la suivante : soit on baisse le prix de manière suffisamment significative pour devenir compétitif, soit on donne carte blanche au marketing pour inventer autour du produit une histoire complètement folle.

Et depuis que je m'intéresse au jeu vidéo, je n'ai jamais vu un éditeur baisser ses prix.

C'est comme ça que sont apparus les Segata Sanshiro, les pub Lynch pour la PS2, les pages de pub pour l'ultra 64, les Rocco Siffredi vendeurs de Trickstyle, les trailers inversés de Dead Island, la 5D, les scènes de fessée Wii et d'une manière générale, la plupart des annonces réalisées à l'E3.

On ne ment pas directement aux joueurs, on leur vend un show susceptible d'être retenu et associé à la marque en en montrant le moins possible du jeu réel.

La prochaine fois qu'on vous vendra un jeu de skateboard en ressortant Tony Hawk du placard ou un Final Fantasy en insistant sur l'importance de DirectX12, vous saurez à quoi vous en tenir, et pour ça, même pas besoin d'avoir fait une école de commerce.

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