> Le webcomics free-to-read

Punition

Punition
Pierre
Aucun commentaire
C’est pas évident de placer la barre de difficulté dans un jeu. L’idée est de d’avoir suffisamment de challenge pour que les joueurs aient du biscuit à mâchouiller, mais pas de mur insurmontable sous peine de vite passer à la trappe.
Évidemment ce serait possible si tous les joueurs du monde avaient le même comportement en jeu, beaucoup moins quand chaque pélo qui va lancer le jeu aura une idée différente derrière la tête. Alors on fait appel au profilage et on fait du test consommateur. Beaucoup.

C’est important ça, le test consommateur, parce que ça ramène un peu de dehors dans le vase clos du développement qui ne reçoit que deux influences majeures : celle des développeurs en eux-mêmes qui, selon toute vraisemblance, finissent assez rapidement par maitriser leur jeu bien mieux que les gens normaux et celle de l’éditeur qui passe à la corbeille quoi qu’il arrive.

On invite donc un panel plus ou moins large, plus ou moins représentatif des gens à qui on aimerait bien vendre le jeu, donc en règle générale des étudiants du coin, et on le met en situation, une manette à la main, sans indication et on filme ce qui se passe à l’écran et sur le canapé.
Parce que oui, comme toute bonne analyse de comptoir, il y a aussi un divan dans les sessions de tests de jeux vidéo.

Ça donne quelques heures de vidéos assez hilarantes quelque part entre le voyeurisme pur et la visite au zoo où l’on fait semblant de découvrir que cet insidieux point de sauvegarde 20min avant un boss bien reloud est une idée légèrement frustrante.
On pousse des grands ah, on pousse des grands ho et on s’accroche de toutes nos forces au témoignage du cobaye n°23 dont la liste de jeux favoris comprend BloodBorne, Dark Souls, Super Meat Boy et Ninja Gaiden et qui trouve que, quand même, le jeu est un peu facile et qu’il n’a dû recommencer le boss que trois fois (ce qui fait neufs patterns si vous voyez ce que je veux dire) et que c’est pour ça qu’il répondra « Absolument pas » à la question « recommanderiez-vous ce jeu à un ami ? ».

Parce que la difficulté, de la même manière que le nombre idéal de joueurs en multi, que la balance arcade/simulation, que la présence de trousses de soin ou le nombre de polygones à l’écran est avant tout une question de mode.

Et la mode actuelle, elle est avant tout dictée par des journalistes, youtubers et autres influenceurs modernes élevés avec des jeux développés en trois mois et qui exploitaient toutes les ficelles possibles et imaginables pour forcer des gosses à foutre leur petite monnaie dans la borne, dont et surtout une difficulté aussi brutale qu’injuste. Mais si, à l’époque de l’arcade japonaise, dégager le joueur le plus rapidement possible de sa partie était un business model en or, aujourd’hui le grand jeu des game designers consiste à faire rester les gens le plus longtemps possible.
D’abord pour fidéliser le client, ensuite pour obtenir une pub monstrueuse sur tous les réseaux sociaux de gaming et enfin pour avoir une chance de vendre du DLC.

Évidemment on ne se contente pas de rendre les jeux faciles, l’idée est de créer des mini boucles de satisfactions et de gratifications instantanées qui brosse le joueur dans le sens du poil jusqu’à le convaincre qu’il est pas mauvais du tout.
Les trente secondes de fun de Halo, les achievements qu’on vous jette à la gueule pour finir le tutoriel, le loot sans fin, les mécanismes de progression et level up appliquées à tout et n’importe quoi, les arbres de compétences à débloquer, les objets à collectionner, points à capturer, morceaux de carte à déchiffrer, énigmes à résoudre.

Rien de tout cela ne demande énormément de développement ou de design complexe, mais tout est facile à étaler dans le temps pour tendre une perpétuelle carotte qui a remplacé le bâton dans tous les AAA depuis King Kong.

Alors oui, comme partout, de temps à autres, un type se la joue grand saumon des fonds marins et tente de prendre tout le monde à contre-pied en jouant la carte de la difficulté ignoble, du perma-death punitif, du déni de la seconde chance. Et évidemment il y a de l’écho chez une classe de joueurs hardcore motivés par le nouveau challenge, la possibilité de prouver leur skillz au monde, la possibilité de gagner leurs galons, la perspective d’asseoir leur crédibilité de gamers. Bref leur carotte à eux.

Aucun commentaire