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Mystère et boule de rogne

Mystère et boule de rogne
Pierre
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Quand on fait une campagne marketing, de gré ou de force, et quelle que soit l’échelle il y a une question qui reste en suspens quoi qu’il arrive : est-ce que tout cela a servi à quelque chose ?

Bien sûr on réalise des enquêtes, on vérifie auprès des gens, on sort des données de visionnage des pubs, de clics de bannières, on analyse les pics d’achats, bref on essaye de donner un petit côté scientifique à la chose. Rien à faire, le doute subsistera toujours : mais si le produit est bon, ne devrait-il pas se vendre tout seul ? Et si la campagne n’a pas fonctionné, n’est-ce pas, d’abord, parce que le produit est mauvais ?

Du coup en général on essaye de pas trop y penser et on se dit que la dépense marketing fait partie intégrante du budget d’un produit au même titre que le design ou la matière première. Dix pourcents des recettes prévisionnelles, peut-être vingt si les conditions le justifient, et puis on serre les fesses, on croise les doigts et on appuie sur GO.

Sauf que j’ai le sommeil léger et qu’appuyer sur GO pour de mauvaises raisons ça me réveille en sueur, alors pour bosser sereinement dans le marketing, j’ai mes cas ratés. Mon cabinet de curiosités de campagnes complètement en désaccord avec le produit. Ces petits moments d’emballement où le département marketing vend quelque chose de tellement différent du produit final que le succès ne peut pas correspondre aux réactions.

Quand on entend que des gens attaquent en justice une société de distribution de films pour publicité mensongère. Quand on réalise que des gens ont donné plus de 55 000 dollars pour faire une salade de patate. Quand des gens font la queue pendant plusieurs heures pour acheter un produit disponible absolument partout dès le lendemain. Quand des jeunes gens portent des t-shirt orange mécanique sans une pointe d’ironie. Ou quand on découvre que ses beaux-parents ont un téléviseur d’une résolution native de 3840 x 2160 pixel connecté en tout et pour tout à un lecteur DVD via un câble péritel.

Dans tous ces cas-là on sait que quelque chose de complètement incongru s’est passé au niveau du marketing et a attiré au produit des populations qui n’auraient jamais dû en entendre parler de manière organique si le produit avait été laissé à lui-même.

Ma dernière pépite en date est bien évidemment le charmant No Man’s Sky qui dès le départ a pris une course d’action complètement inattendue compte tenu du périmètre du projet. Je veux dire, Joe Danger était le jeu indépendant parfait pour un article Wikipédia. Meugnon, un peu vide, offert rapidement en Bundle, puis en jeu gratuit du mois sur PlayStation, c’était parfait pour les quelques curieux qui suivent la vague indé.

Pourquoi vouloir mettre le nouveau jeu de Hello Games, une équipe de dix britishs rêveurs au milieu des VGA, en « world premiere » et cotillons ? Pourquoi rapidement laisser tomber la communication de petit jeu indépendant au profit des gros trailers dans les conférences les plus huppées, les sorties d’éditions collectors, les campagnes de réservation et les rebranding de social media.

Parce que le jeu a suscité des envies de la part des joueurs et journalistes, et parce que pendant quelques temps ce petit jeu modeste avait l’air plus sexy pour un certain nombre de gens et que Sony, qui avait un peu de mal à aligner les énormes exclusivités a profité d’une trop belle opportunité pour gonfler un peu le soufflé et surfer la vague de la hype avec des techniques de communication habituellement réservées aux AAA.

Evidemment le jeu est sorti. Mais après plusieurs années de battage la presse n’a plus tourné son œil bienveillant mais a noté un jeu standard. Et les joueurs ont jugé le jeu à l’aune de ce que Sony leur a fait miroiter : un AAA aux ambitions démesurées.

Ça doit certes faire un peu mal à l’égo, mais le jeu a vendu en moins d’un mois et à 60€ plus de deux fois et demie ce qu’avaient vendu Joe Danger 2 à 15€ pendant 3 ans.

Qu’ils soient amers ou heureux, déçus ou euphoriques, les développeurs sont en tout cas les témoins de la puissance d’une campagne marketing surdimensionnée. Et moi je dors un peu mieux la nuit.

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